Maxime Coton

A-t-il fallu que j’apprenne à écrire pour lire dans tes paumes ? Tes paumes gercées par le froid et l’ignorance ?

Je les écoute.

Il y est dit : « Tu seras une fracture. Celui qui t’a engendré la porte en lui. Tu la crieras et le nom donné sera celui de la réconciliation ».

Alors Papa, ton poing se ferme, mais ne se tend pas : aucun combat ne l'invite.

Aveugle, je comprends.

Sans le savoir, tu es né, faillite d’une utopie.

Je comprends cela et bien d’autres choses parce que je sais lire et écrire. Parce que le temps m’est donné de regarder.

Dans le monde des images

Je suis sans loi, je vais

Partout j’entends

En tous lieux le murmure

Du commerce équitable, une vie en vaut

Une autre : nous savons bien

Que le mensonge leur appartient

Et contre lui, nous ne pouvons rien

J'essaie de ne pas penser à Marx

Que je n’ai pas lu

J'essaie de ne pas parler

Le langage des livres que tu n’as pas lus

Non sans fierté tu les vois cependant

Murs de chez moi

Ne dis pas que ce sont les outils du pouvoir

N’y pense pas

C’est avec eux que je te rejoins

Et les langues de bois n’y pourront mettre le feu

Je marche à ta rencontre

Au dehors, le jour où peut-être

Changera ton visage

Et la ville où j'ai grandi

Mais non, dans son excroissance

Le gardien ne nous laisse pas rentrer

Papa (n'est rien)

Lent est le temps qui m'amène à toi

Les trains ont toujours du retard

Avant d'atteindre la ville

C'est le mur interminable

Interminable, terminé

De l'enceinte sale

Nourricière l'usine

Ne pas laisser en moi germer l’idée

Qu' exister quelque part

Dans un ailleurs

Monde sans usine

T’offrirait quelque chose

Qui ressemble à une naissance

Oser la pensée que

Toi et moi égal plus que des mandailles

Moins que rien

Des sans-paroles

Tus dont le poids des mots n’équivaudra jamais

La bêtise des gestes répétés

Parfois le mensonge nous guette

Le silence est son supérieur hiérarchique

Je confonds paternité et

Ressources humaines

Mais toujours le soir

La lampe qui s’éteint trop vite

Sur notre langueur

Evoquera le prix de notre insoumission

Simplement je tente de dire

Te dire simplement

La langue qui nous sépare

Nous relie aussi du côté des inédits

Les mouvements de ton corps dans l'espace,

Echos qui musent près de toi

Le livre non écrit

Le film non vu

Mais toujours derrière l’oeil

Une persistance

Tagger sur les murs qui te cachent

Ce que rétines ne peuvent imprimer

La main peut voir, approcher

A la recherche d'une issue, tourner autour

De l' entrée dans le monde

Démon de mots ou propriété privée

La poésie sera votre mauvaise conscience

Entend le vigile et derrière lui

Cadres, directeur et oubli

Travaille

Je ne peux venir voir ce que tes mains

Ecrivent

Je tente de ne pas penser à la lutte des classes
Film sans images, je ne te promets rien 

Tu m’as toujours dit

L’intelligence t’appartient

Tu ne disais pas qu’elle venait de toi

De tes pores mais j’y pense

Et je dis que notre intelligence

Celle d’être en vie

Nous sauvera un jour

Je te le jure

Papa

Un cri

Si un cri, nous pouvons

Pour avancer l’un en l’autre

Dans l'invisible, cet amour séparé

Et le cri comme un baiser

Sur un poignet

Infini de se tordre

Un mot est plus qu’une image

Il est sa possibilité et son renoncement

Ce qui se cache derrière le poème

Un stylet avec lequel j’arpente

Les rues transpersées

Une langue en suspens ne peut se taire

Les images fabriquées dès lors

Seront loin d’être inoffensives

Elles auront la violence

Du non-dit, de celui qui sans parole

Erige le soi à haïr les autres